« Malgré les années, semblable à Cyprienne et pourtant fort différente, Renée, une dame à l’antique, habillée de noir, le corps ceinturé par plusieurs couvertures, – une momie avec ses bandelettes – chargée comme un baudet portant un énorme baluchon autour du cou, et à la main, quantité de sacs de papier, elle erre à travers les rues de la ville, telle une morte vivante, et qui pour s’épuiser, n’a de cesse de toujours marcher davantage.
Mendiante ? Non ! Chanteuse ? Non ! Elle ne chante pas : elle souffre. Une pitoyable femme aux longs cheveux blancs, avec de grands yeux noirs tristes pleins de noblesse renfermant toute la misère du monde, telle Sainte Marie-Madeleine, à Florence, la sublime sculpture sur bois de Donatello, au regard inoubliable.
Elle fut voilà plus de trente ans, une enseignante qui tentait d’apprendre à de futurs hommes la bonté et le respect des autres. Sa récompense : sa fille de seize ans, violée, torturée, assassinée.
Elle n’a pas résisté. Elle cherche jour et nuit, dans toutes les rues de la ville, une fille dont son cœur n’accepte pas la disparition, et dans cette recherche son corps a sombré.
— Comment allez-vous, Madame ?
À ce mot presque oublié de Madame, elle se retourne, m’observe,se redresse et retrouve toute sa dignité, comme pour me remercier de la sortir durant peu de temps, de cet isolement dans lequel tout le monde la plonge.
— Oh ! Vous savez, Monsieur, c’est très dur en ce moment, avec cet horrible froid !
J’entrai dans un nouveau monde, pathétique, pitoyable.
— Quand je dors à la gare, au milieu de mes cartons, eh bien Monsieur, même là, on essaye de me voler. Tenez, la semaine dernière, c’est un voyou qui m’a frappée, m’a projeté dans les yeux le gaz d’une bombe lacrymogène pour mieux me voler. Regardez mes yeux, ils sont encore tout rouges !
Renée, elle se prénomme Renée avait un mari, – elle l’a toujours – avait une fille – elle ne l’a plus. Elle vivait dans une très grande maison. Depuis la disparition de sa fille, Renée n’est plus jamais retournée chez elle. Vingt ans ont passé. En errance perpétuelle, elle court après toutes les jeunes adolescentes, croyant toujours avoir aperçu le dos de sa fille. Son mari, lui, qui sait qu’il a "perdu" sa femme, vient souvent la voir à la gare, pour l’aider à faire une maigre toilette.
— Chateaubriand était comme moi, il cherchait sa sylphide. Lui aussi a connu la souffrance, l’exil hors de lui-même. Et moi, je suis là, toute seule. Ma fille me cherche et ne me trouve pas. Je la cherche et ne la trouve pas. J’en mourrai ! »
Robert Garcia Avignon, j’ai grandi avec toi 2015.
Commentaires
je crois que je la connais
et surtout ne pas la traiter, même avec sourire, comme une mendiante
lui sourire si elle semble le vouloir bien
La dame en noir a disparue depuis quelques années, si c'est la même, elle "travaillait" à la BU de la fac de lettre dans les années 70 et trimbalait ses sacs remplis de papiers dans tout le centre.
Alain Lesur, sur Facebook, pense que "Renée" serait "Madame Reynaud" et nous donne cette photo : http://avignon.hautetfort.com/files/Mme-Reynaud_.jpg
Oui, c'est celle à qui je pense, années 70/80, de plus en plus vieille, et sale la pauvre, j'ignore quand elle a disparu.
Quelle épouvantable destinée, tant pour elle que pour son mari.
Triste à en pleurer.
Cela fait réfléchir sur le sort des gens qui ont choisi de ne plus avoir de domicile privé et qui errent au fil des rues...
Je crois qu'elle était prof et avait une maison. Je ne la vois plus depuis pas mal de temps (années 90-2000 ?)
Je me demande si Renée et Madame Reynaud sont une même personne.
Y a-t-il confusion entre "Renée" et "Reynaud" ?
je me souviens de Cyprienne et je me souviens bien de cette dame en noir chargée de papiers qui marchait sans arrêt dans Avignon,on ne peut rester insensible ...
En lisant hier soir le texte sur « Renée », j’ai immédiatement pensé à la personne de la photo… Et, au final, il semble que ce soit bien elle.
Une figure avignonnaise, dans son genre, que l’on croisait souvent dans des « lieux de culture » comme Calvet ou la fac. Il y avait quelque chose d’à la fois noble et pathétique en effet dans cette personne, qui donnait l’impression d’avoir été belle, mais d’une beauté qui au lieu de se faner se serait soudainement fracassée.
Un des souvenirs que j’ai d’elle est une fois où nous avions échangé je ne me souviens plus quelle banalité sur les escaliers du grand amphi de la Fac (rue Violette), j’étais resté sidéré de l’extraordinaire douceur de sa voix, tout à fait inattendue.