Henri Bouvet "Le sonneur Fanot"
Henri Bouvet "The bell ringer Fanot"
« Aimons Clément le sonneur,
Qui après tant de peines et de ruses,
Dans le clocher de Saint-Didier
Fit sonner tant de cloches. »
J. Roumanille
IL ne fait pas bon venir parler de quelqu'un ou de quelque chose quand la plume d'un maître l'a élevé et l'a mis sur le podium des honneurs ; mais après une fructueuse moisson, voici donc quelques petits épis dorés échappés des nouvelles gerbes.
Le brave Clément Fanot – qui est mort en notre ville le 24 octobre 1892, était issu d'une famille de la poétique Italie qui s'était éprise depuis peu du pays comtadin.
Notre artiste naquit à Cairanne (Vaucluse) vers 1809, mais prenant pied de bonne heure en Avignon, il décida de faire du clocher de Saint-Didier un conservatoire de cloches en souvenir et en remplacement de ces carillons mis à la fonte en 92(1).
Ce n'était pas le travail d'un seul jour et, de plus, le pauvre Fanot qui jusqu'alors avait travaillé dans une imprimerie pour élever sa famille, était souvent par les chemins, faisant le messager, portant les faire-part de décès et les journaux Avignonnais.
C'est en promenant ses souliers du matin au soir qu'il étudia notre ville et ses habitants, rue par rue, maison par maison, et tant et si bien qu'un beau jour naquit le premier Guide-Fanot, espèce de Botin commercial qu'il édita sous son nom de 1853 à 1871 ; œuvre exceptionnelle pour un pauvre homme myope, ne voyant guère plus loin que son nez.
À ses moments de loisir, clopin-clopant, il faisait carillonner les cloches dans la maison de Dieu ; pour lui, c'était là le repos d'une journée de travail.
L'appétit vient d'ailleurs en mangeant, et notre Fanot n'eut plus de répit jusqu'au jour où il installerait – tant lui-même qu'avec l'aide de bons paroissiens – un carillon flambant neuf, ressemblant à ceux des tours campaniles des jolis pays flamands.
Et tout ça non sans peines ni angoisses, car si le tintement musical et céleste enchantait ses oreilles, il se trouva suffisamment de gens grincheux venant critiquer ses cloches ; compagnie d'imbéciles qui le plus souvent vont bruyamment par les rues dans une musique fortement moins harmonieuse.
Mais Fanot avait alors de son côté des hommes comme le docteur Barjavel et Castil-Blaze lui criant : « Brave, fils ! Allez, courage ! » Il avait encore pour le soutenir l'auteur de la Campano mountado, le vaillant Roumanille qui dans un livre élégant et poétique, fit resplendir le nom de Fanot dans des pages splendides.
Et de la sorte, quasiment tous les ans, le roi des sonneurs apportait à son brave curé, le regretté monsieur Moutounet, une cloche sonnante et reluisante, qui après avoir été vêtue de blanc et solennellement baptisée, s'élevait tout là-haut rejoindre ses sœurs musiciennes.
Et dodelinant, il fallait le voir là, tout sang et eau carillonnant les harmonieux cantiques s'évanouissant dans l'air comme les voix angéliques du séjour divin.
Et pourtant, l'artiste Fanot n'était qu'un musicien autodidacte ; mais avec le feu sacré se consumant en lui il arrivait, ô merveille ! à faire parler et chanter ses cloches qu'on en tressaillait d'entendre tinter ces voix de bronze.
Par malheur, l'âge, la surdité, les blessures et tous les aléas de la vie empêcheront ensuite le bouillant Fanot de monter encore dans sa tour d'harmonie ; c'est ainsi qu'accablé, endolori, ratatiné, pauvre, il se traîne par les rues de notre vieil Avignon, de l'Avignon dont il fut le porte-parole, car il chanta pendant un demi-siècle nos joies et nos peines, les Te Deum comme les De Profundis par l'organe de son orchestre aérien.
Aujourd'hui encore, quand je passe devant la tour historique veuve, hélas, de sa présence, tant il aimait le carillon, comme moi et plus que moi (car c'était ça l'œuvre de sa vie) si j'entends ces cloches appelant les fidèles dans le Temple Saint, avec les voix argentées du retentissant clavecin d'airain, il me semble sentir passer l'âme émouvante, frissonnante de Clément Fanot, le si fameux carillonneur avignonnais, qui repose à présent en terre sainte sous la cloche que lui-même fit dresser dans le grand clos de Saint-Véran pour dominer sa demeure dernière.
(1) Au XVIe siècle, Notre-Dame-des-Doms avait pour sonneur Jean Baroni et plus tard Toni Bosige surnommé Tout-blanc ; avec un vent propice, son gros bourdon (la Marie Sauveterre) s'entendait jusqu'en Arles.
Notre Saint-Pierre avait le sien qu'on appelait Jan Alemand.
Dans nos autres paroisses il y avait François Carré, Girardon, Cornille, Berteaud et Borty – ces deux derniers furent victimes de la Révolution. –
La tour des Cordeliers, encore droite par bonheur, avait son sonneur renommé, on l'appelait frère Moïse.
Traduit du Provençal d'après l'édition originale. © Michel Benoit 2017.