Rôle des compagnons passants tailleurs de pierre d'Avignon
Role of stonemason companions of Avignon
Rôle des compagnons passants tailleurs de pierre d'Avignon
Document des Archives départementales de Vaucluse 1J467/4.
Document de 1782, avec sa tringle de bois, sur papier entoilé de 54,5 par 73,5 cm, illustré en forme de temple classique.
L'en-tête
À gauche les armoiries de la ville d’Avignon avec sa devise "À bec et griffes". Au centre les armes du Roi de France. À droite les symboles du compagnonnage : compas posé sur l’équerre posée sur la règle et serpent entrelacé. Une couronne ornée de rameaux d'olivier domine les outils, comme pour la franc-maçonnerie, le tout surmonté de la devise "Labor et honor". Curieusement, les trois symboles — compas, équerre et règle — semblent un monogramme pour Avignon. Sous les trois armoiries, l'étoile flamboyante ornée de la lettre G et encadrée par une devise latine — sub hoc signo non œquivoca latet virtus : sous ce signe se tient une vertu non équivoque.
L'image
Une grande image sur fond de paysage maritime intitulé "mer d'Asie" représentant différents outils et travaux, un compagnon taillant un bloc de pierre avec un maillet et un ciseau, le salut des compagnons pied droit contre pied droit comme reconnaissance rituelle, etc., qui évoquent le métier.
Le texte
La Règle du Saint Devoir, règlement de la société, le rôle des amendes en cas de mauvaise conduite et, sur les piédestaux qui soutiennent les colonnes, les noms et surnoms des compagnons passants d'Avignon.
Lire :
https://decoder-eglises-chateaux.fr/demystifier-compagnons-devoir-interview-jean-michel-mathoniere/
Et bien sûr :
http://compagnonnage.info/
Commentaires
j'aurais aimé être sur un des piédestal... bon un arrière grand père Chantereaux a pu passer entre Vendée et Toulon, mais lui était menuisier
La lettre "G" au centre de l'étoile flamboyante est un symbole maçonnique.
L'initiale de Géométrie est une des interprétations de ce symbole.
L'image est d'autant plus passionnante pour moi qu'elle comporte, entre la sphère armillaire et le tailleur de pierre, deux scénettes dont je peine à découvrir le sens, surtout celle de gauche. Peut être l'allée au seuil de laquelle se tient un personnage figure t-elle l’Aspirant au départ de son parcours...
À droite, la femme tenant une balance est sans doute une évocation de la Justice, bien que je ne voies pas trop le rapport avec le chien et le lion du premier plan, reliés par une sorte de laisse...
La lettre G au centre de l'étoile flamboyante est en effet ici l'indice d'une influence maçonnique sur les compagnons avignonnais. C'est là le "signe" auquel se réfère la devise latine "Sub hoc signo […]", empruntés l'un et l'autre par le dessinateur de ce rôle, Ponge, assez probablement franc-maçon, à l'emblème d'une loge de Beaucaire, "La Concorde".
Le personnage à l'orée d'une allée de parc évoque en réalité l'art des jardins, alors partie intégrante de l'architecture. Toute la partie gauche du frontispice de ce rôle est d'ailleurs consacrée aux savoirs que cultivaient les compagnons tailleurs de pierre des XVIIe et XVIIIe siècles, savoirs qui ne se limitaient pas à la seule stéréotomie (géométrie appliquée à la coupe des pierres) : architecture, géométrie, arpentage, gnomonique (cadrans solaires et astronomie), art des jardins… J'ai consacré à ce sujet de nombreux travaux ainsi que des conférences, dont une, fleuve, à la Bibliothèque nationale de France qu'il vous est possible de visionner intégralement sur internet, en deux parties :
• https://www.youtube.com/watch?v=Z4bTBtLFwxs (pas d'inquiétude : seule la première minute est en anglais…)
• https://www.youtube.com/watch?v=dA_730OMrT4
La femme tenant une balance sous un dais est bien évidemment une personnification de Thémis, la Justice. C'est à elle, située exactement à l'aplomb de l'étoile flamboyante, que fait allusion la devise : "sous ce signe se tient une vertu non équivoque". Il s'agit là d'une vertu particulièrement honorée dans plusieurs compagnonnages de cette époque — et encore bien présente aujourd'hui chez les compagnons menuisiers et serruriers du Devoir de Liberté (la famille compagnonnique d'Agricol Perdiguier), ainsi qu'en atteste sa figuration sur les insignes de leurs dignitaires. Le chien, le lion, le cœur enflammé et les deux colombes se becquetant, qui sont liés entre eux par une chaîne sur les marches aux pieds de Thémis, symbolisent des vertus essentielles au regard des compagnons : la fidélité, la force, la charité et l'amour fraternel.
Bonne journée à tous.
Merci Jean-Michel pour cette réponse éclairante.
Il semble que la symbolique du G soit complexe et sujette à plusieurs interprétations. Je me demande toujours quel est le mot qui se cache derrière cette lettre. Il serait d'origine arabe... ?
Je m'interroge également sur le paysage de "mer d'Asie" : ce phare (1), ce château (2), ce fortin, ce temple (3) et cette acropole... qui ont tous manifestement leur spécificité.
(1) D'Alexandrie ?
(2) Devant duquel des personnages semblent se passer un document.
(3) De Salomon ? Et les murailles derrière lui.
Le second lien de Jean-Michel Mathonière, nous apprend qu'on y trouve le port de Marseille et l'ancien théâtre.
Pour l'analyse de ce document, on pourra aller, sur le premier lien Youtube, directement à 24'30".
Pour le G, la seule signification à retenir ici, conformément à la signification généralement donnée par les francs-maçons français de cette époque, c'est Géométrie. Accessoirement, on peut aussi prendre en compte une autre des significations originelles, God (Dieu, en anglais), qui était connue aussi à cette époque.
Le paysage de la "mer d'Asie" est en partie conventionnel et fait référence à l'iconographie de nombreux traités d'arpentage et de gnomonique, en référence aux points élevés et éloignés que l'arpenteur doit pouvoir mesurer par dessus des obstacles infranchissables (symbolisés par la mer ou des rivières), et que le navigateur doit pouvoir viser pour trouver sa voie.
Le phare fait allusion, d'une part, à ces points hauts utiles aux arpenteurs des terres comme des mers, et, d'autre part, à la construction ou l'aménagement des phares qui connaît à cette époque un profond regain et à laquelle participent de nombreux compagnons tailleurs de pierre (le cas le plus célèbre est celui de la tour de Cordouan dans l'estuaire de la Gironde, rehaussée par le compagnon passant tailleur de pierre et ingénieur Joseph Teulère de 1782 à 1789). C'est aussi le symbole de la lumière (spirituelle), du "Devoir" qui guide les compagnons durant leur cheminement.
Le port représenté est le vieux port de Marseille. Certains des monuments esquissés sont identifiables : le fort Saint-Nicolas, la Corderie, l'ancien Grand Théâtre (construit par les compagnons passants tailleurs de pierre d'Avignon, dont Ponge, de Marseille et de Montpellier) au bout du bassin (il est en réalité plus en arrière), qui n'était alors qu'en projet, l'Hôtel de Ville, dont la fameuse galerie en pierre à l'arrière a été réalisée par un architecte compagnon passant tailleur de pierre d'Avignon, Esprit-Joseph Brun, etc.
Les personnages se transmettant un document sur le quai représentent assez probablement la fondation rituelle du "Grand Rôle" de Marseille par les compagnons passants avignonnais en 1777.
L'espèce d'acropole au sommet d'une montagne appartient elle aussi à l'iconographie conventionnelle des points élevés dans les traités d'arpentage. Elle peut aussi éventuellement évoquer l'importance fondamentale des ordres grecs dans la théorie des ordres d'architecture.
Enfin, Joseph Ponge, dessinateur et scripteur de ce rôle, était compagnon passant tailleur de pierre sous le nom de "La Douceur d'Avignon", architecte, entrepreneur et ingénieur. Il a joué un rôle important chez les compagnons à cette époque, notamment du fait de ses relations avec l'Académie royale d'architecture au travers de son secrétaire Michel-Jean Sedaine, auteur de théâtre, architecte… et compagnon passant tailleur de pierre !