« Durant et au sortir de la guerre, un autre personnage, M. Brahic "sévissait" quartier Saint Lazare, rue Carreterie et rue Guillaume Puy. Costaud, trapu, grognon, grassouillet malgré les restrictions alimentaires dues à la guerre, doté d’une voix de stentor, il tirait une espèce de vieux charreton à grosses roues de bois cerclées de fer. L’air bourru, il faisait grand peur aux enfants auxquels il lançait des grimaces, des pieds de nez, et très souvent en tirant la langue. Sacs de sciure et bûches de bois encombraient son charreton qui véhicule compris devait bien peser dans les trois cents kilos.
Pendant et après la guerre, une seule façon de faire la cuisine et d’apprivoiser les rigueurs hivernales : c’était la bonne cuisinière en fonte de marque Chapée. Elle fonctionnait au charbon, lequel était très cher, rare et contingenté, ou se contentait de brûler du bois de chauffe.
C’est là qu’intervenait M. Brahic. Courageux et pitoyable à la fois, il passait le plus clair de son temps à arpenter les rues de ces quartiers d’Avignon, en criant haut et fort :
— Il est là, le voilà, le marchand de bois. Bois d’allumage, sciure de bois !
Ce slogan, tout simple, mais scandé et lancé de façon magistrale, attendu par les ménagères du quartier, s’inscrivait dans les mémoires d’une manière indélébile, à telle enseigne, que bien des personnes l’entendant s’approcher dans la rue, répétaient :
— Ah ! Il est là le marchand de bois !
Ainsi, M. Brahic livrait du bois à qui en voulait, et surtout aux personnes qui n’avaient pas beaucoup de place pour en stocker une grande quantité dans leurs petits appartements des vieilles ruelles, ou qui n’avaient pas assez d’argent pour en commander un ou deux stères à la fois.
Durant cette époque de vaches maigres, il vendait également des sacs de sciure de bois, qui dans bien des foyers remplaçaient le charbon et même le bois. Chaque soir d’hiver, afin que le feu ne s’éteignît pas dans la cuisinière, on bourrait l’âtre par-dessus un reste de charbon incandescent avec de la sciure préalablement mouillée. Un trou central à la verticale, pratiqué avec un pique-feu, permettait à cette sciure de se consumer très lentement tout au long de la nuit jusqu’au petit matin, et donnait une douce température à tout l’appartement. Grâce à notre homme, cette sciure connut durant cette rude époque une commercialisation des plus brillantes.
Le père Brahic assurait bel et bien, un travail d’utilité publique.
Après avoir monté les dix kilos de rondins ou les deux sacs de sciure de bois à un second étage, après avoir encaissé les quelques francs et peut-être après avoir englouti un bon "canon" de rouge offert par sa cliente de ménagère, il retournait dans la rue, repassait autour de son cou l’épaisse lanière de cuir accrochée à son charreton, reprenait de ses énormes mains les manches du dit-charreton, et après avoir fourni un violent effort en s’arc-boutant sur ses reins pour faire redémarrer son outil de travail, le voici qui entonne allègrement, à la cantonade, toutes les vingt secondes :
— Il est là, le voilà, le marchand de bois !
Le voilà, pauvre diable, tel Jean Valjean au bagne, qui repart faire sa tournée de forçat, mais lui, en homme libre ! Sans famille, sans logis, il a "habité" durant plusieurs années dans une anfractuosité effondrée des remparts de la porte Saint Lazare, dans un réduit de trois ou quatre mètres carrés, sans eau, sans électricité, sans chauffage, – un comble ! – sans même une porte pour s’isoler du bruit de la piétaille et de la circulation. Avec une vieille couverture marron de l’armée américaine accrochée sur le mur extérieur des remparts, il pouvait négliger le bruit et le froid. Il s’enfermait ainsi dans sa caverne pour mieux se détacher du monde et trouver un semblant d’intimité. Il oubliait ainsi, durant quelques heures, sa rude condition, et rêvait peut-être d’un paradis, d’un olympe chauffé au fioul et éclairé à l’électricité. En attendant, pour découvrir les derniers potins de sa chère ville d’Avignon, et pour lire "Le Provençal" de la veille, il s’éclairait à la bougie.
Hier, il restait un homme libre, capable, par son dur travail d’assurer sa subsistance quotidienne. Aujourd’hui, que serait-il ? Un homme assisté ? Oubli de l’effort solitaire ! Pour l’enfant que j’étais, M. Brahic n’était-il pas un exemple ? Sa vie n’initiait-elle pas les écoliers que nous étions à servir la valeur de l’effort ? Nous préférions, bien sûr, nous amuser ! »
Robert Garcia Avignon, j’ai grandi avec toi 2015.
Commentaires
J'ai connu une famille Brahic de menuisiers dont une petite file est médecin.Mais ?
des temps où la vie était rude mais de débrouille (comme encore en bien des endroits du monde)... mais où le confort de la plupart ne lui laisse plus de place
Une mine ce livre
Brahic le menuisier, avait son atelier Bd. Limbert à coté de Quioc le marchand de bois;
Par la suite il avait fait construire derrière le pont de Rognonas avant d'être exproprié pour la construction du CH Henri Duffaut.
Il était surtout fabricant de moulures.( je crois le seul de toute la région)