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Jun 1800 : Un veiturin d'Avignoun (2/2)

Juin 1800 : Un voiturin d'Avignon (2/2)
June 1800 : A carrier from Avignon (2/2)
Juni 1800 : Ein Kutscher aus Avignon (2/2)

Chapitre tiré des Mémoires du commandant Jean Stanislas VIVIEN (1777-1850)
(suite)
 Je ne connais pas de manière de voyager plus insipide que celle par le voiturin : le pas des chevaux dans les sites ondulés, et le petit trot en plaine, voilà tout ce qu'on peut en espérer ; et pour un homme qui était pressé d'arriver, il n'y avait là rien que de fort ennuyeux ; joignez-y, si vous voulez, l'appréhension d'être arrêté, maltraité et dévalisé, et vous aurez une idée exacte de ma position.
 Il fallut cependant se résigner, et pour charmer le souci d'un semblable voyage, je voulus lier conversation avec mon homme et l'amener, s'il était possible, à me confier quelques petits secrets de métier relativement aux bandes, mais je ne pus lui arracher que des oui ou des non, et le plus souvent ni l'un ni l'autre.
 Ne pouvant mieux faire, je pris le parti de me taire, et semblables à deux trappistes qui vont dans le même sens sans se parler et, le plus souvent, sans se regarder, nous arrivâmes, à trois heures, à Orgon, pour y prendre un repas et nous reposer jusqu'à minuit. Là, dans l'auberge où nous étions descendus, une réunion d'une trentaine de jeunes gens se reposait et menait joyeuse vie, tandis que des apostés, placés aux débouchés des routes d'Aix, de Barbentane et d'Avignon, faisaient bonne garde et répondaient de leur sûreté ; c'était une bande. Celui qui me parut en être le chef échangea avec mon conducteur quelques paroles en patois provençal que je ne compris pas ; on ne me demanda ni d'où je venais ni où j'allais, et je me gardais bien de demander à ces messieurs ce qu'ils faisaient là.
 À six heures, je dînai et je soupai tout à la fois, en tête à tête avec mon conducteur qui ne faisait pas la moindre attention à ce qui se passait autour de nous, et qui conservait toujours le calme imperturbable de la veille, ne déridait pas le sourcil et ne desserrait pas les dents, si ce n'était pour manger et boire : homme extraordinaire en toutes choses et pour lequel les gens de l'auberge semblaient avoir beaucoup de déférence.
 Pendant le repas, je me suis bien gardé d'adresser d'inutiles questions à mon conducteur, car je craignais de lui déplaire et ce n'était pas le moment, mais je n'en étais pas moins tout yeux et tout oreilles au milieu de ces héros de grand chemin, qui me remirent à l'idée la caverne du capitaine Rolando, avec cette différence, pourtant, que je n'étais pas dans la position de Gil-Blas.
 Sur les huit heures, mon patron, dont je m'éloignais le moins possible, car je reconnaissais bien positivement en lui un protecteur, me dit : « Actuellement, Monsieur, que nous avons soupé, il faut nous reposer et être prêts à partir à minuit précis. » C'était l'équivalent d'un ordre à ne pas chercher à en voir davantage ; aussi, sans me le faire dire une seconde fois, je pris le chemin d'une petite chambrette qui m'avait été assignée.
 À l'heure dite, nous nous mîmes en route, sans qu'il restât trace dans l'auberge de la bande qui, quelques heures auparavant, m'avait bien un peu effrayé, et nous arrivâmes à Aix, sans malencontre, à neuf heures du matin ; le conducteur aussi satisfait de son docile voyageur que le voyageur l'avait été de son silencieux conducteur.

Fin du chapitre

Commandant Vivien Souvenirs de ma vie militaire 1792-1822

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Commentaires

  • il avait été bien conseillé pour ce périlleux voyage (le monde était semble-t-il un peu plus insécure alors, n'est-il pas ?)

  • Période de trouble en des temps où le voyage d'Avignon à Aix se faisait sur 24 heures...

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