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Lou tablèu di Celestin

Le tableau des Célestins
The painting of the Celestines
Das Celestines-Gemälde


LE ROI RENÉ

ET LE TABLEAU

DU COUVENT DES CÉLESTINS,

À AVIGNON.


C'était un prince assez bizarre, mais heureusement organisé, que ce René d'Anjou qui, après avoir perdu ses couronnes, retiré dans sa chère Provence où l'inquiétaient d'ambitieux voisins et parents, Louis XI et Charles le Téméraire, se consolait des revers de la fortune en cultivant la poésie, la musique et la peinture. Sous ses lois paternelles la Provence fut tranquille, et aujourd'hui même on n'y prononce jamais le nom du roi René sans le faire précéder de l'épithète de Bon.
Malheureux comme monarque, malheureux comme père, il charma ainsi par le prestige des arts une vie constamment agitée. Tandis que Louis XI, renfermé dans son château de Plessis-lès-Tours, redoutait un ennemi dans chacun de ses sujets, et ne marchait qu'accompagné de son grand-prévôt, René d'Anjou, se promenant librement dans les rues d'Aix, sans gardes, sans officiers, venait se réchauffer aux rayons du soleil. Bien différent de Charles de Bourgogne dont les combats et les exercices guerriers constituaient toute l'existence, le bon René s'amusait à organiser des processions. Là brillait son génie. Et l'on peut dire qu'Aix ainsi qu'Avignon ont conservé quelque chose de ce génie.
Le couvent des Célestins qui forme aujourd'hui une partie des bâtiments de notre Hôtel royal des Invalides, possédait jadis un tableau représentant un squelette de grandeur naturelle et d'une effrayante vérité. Auprès de ce corps sans vie, on voyait un cercueil dans lequel une toile d'araignée de manière à faire la plus complète illusion. Plus bas étaient des vers écrits en lettres gothiques.
On assure que ce tableau et ces vers étaient l'ouvrage du roi René qui avait fait passer sur la toile l'image d'une femme enlevée à son amour par un trépas prématuré. Voici ces vers dont le langage se comprend, quoiqu'ils soient du quinzième siècle.

Une fois fus sur toute femme belle
Mais par la mort suis devenue telle.
Ma chair estoit très-belle, fraische et tendre,
Or elle est toute tournée en cendre.
Mon corps estoit très-plaisant et très-gent,
Or est hideux à voir à toute gent.
Je me souloye souvent vestu de soye
Or en droit faut que toute nue soye.
Fourrée estois de gris et menu vair,
Or sont en moy partout fourrés les vers.
En grand palais me logeois à mon veuil,
Or suis logée en ce petit cercueil.
Ma chambre estoit de beaux tapis ornée ;
Or est d'araigne ma fosse environnée.
De tous côtés nommée Dame chiaire,
Or qui me voit me fait semblant ni chiaire.
Maint me louoit qui près de moi passait,
Or à présent tout le monde se tait.
Partout estoit ma beauté racontée,
Or n'en est vent, ni nouvelle comptée.
Si pense celle qu'en beauté va croissant
Que toujours va sa vie en décroissant.
Si ores, dame, damoiselle ou bourgeoise,
Fasse donc bien tandis qu'elle en a l'oise.
Ains que devienne comme moi pourvoye telle
Car chacun est comme ay este, mortelle.


TABLEAU D'AVIGNON par ALPHONSE RASTOUL
AVIGNON - AU BUREAU DE L'ÉCHO DE VAUCLUSE - 1836.

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Commentaires

  • joliment raconté ry joliment rimé par le bon roi René

  • Cent ans avant Rastoul, le Président de Brosses a vu de ses propres yeux le tableau en cause dans le monastère des Célestins. Voilà ce qu’il en dit dans le "Mémoire sur Avignon" inséré dans ses lettres d’Italie (juin 1739) :

    « Dans une de leurs salles, je trouvai le fameux tableau peint en détrempe par René d’Anjou, roi de Provence, leur fondateur, représentant sa maîtresse. Cette femme, dont il était extrêmement amoureux, étant venue à mourir, dans son affliction, au bout de quelques jours, il se fit ouvrir son tombeau pour la revoir encore ; mais il fut si frappé de l’état affreux de ce cadavre, que son imagination s’échauffant de noirceur, il la peignit. C’est un grand squelette debout, coiffé à l’antique, à moitié couvert de son suaire, dont les vers rongent le corps défiguré d’une manière affreuse ; sa bière est ouverte, appuyée debout contre une croix de cimetière et pleine de toiles d’araignée fort bien imitées.

    Au diable soit l’animal qui, de toutes les attitudes où il pouvait peindre sa maîtresse, en a choisi une d’un si horrible spectacle ! »

  • J'avoue que je kiffe le "Fourrée estois de gris et menu vair / Or sont en moy partout fourrés les vers" !
    Et c'était bien l'air de son temps...
    Pas bien loin des Célestins : http://www.petit-palais.org/uploads/assets/sfMediaManager/02-109_max.jpg
    Chez Clément VI, à La Chaise-Dieu : http://www.pompanon.fr/photos/sd/o/d/h/4f44230d844f2.jpg
    Et mon préféré, à Nancy : https://theleery.com/wp-content/uploads/Transitions-By-Rene-de-Chalon.jpg

  • Ces deux vers m'ont aussi charmé, Frédéric !

    Quant aux représentations, les ouvrages du temps sur l'œuvre doublent ceux produits sur le sujet...

  • Aïe aïe aîe..... On touche là du doigt la confiance très relative qu'il faut avoir dans les sources anciennes....

    Bien entendu, le "François" qui traite avec les Célestins et le roi René, puis avec Charles d'Anjou après la mort de ce dernier, n'est autre que Francesco Laurana. Et toutes ces mentions ne concernent que le retable de marbre bien connu, qui était couvert d'un dais (ou baldaquin) de bois peint, et dont l'achèvement artistiquement et financièrement laborieux, donna lieu à un certain nombre d'écrits, dont celui mentionné par cet article.

    On notera que Charles de Brosses place ledit tableau dans une "salle" des Célestins, alors qu'il appelle correctement "chapelles" les endroits où il a remarqué autels et rétables remarquables...

    Une seule certitude dans tout cela, il est quasiment impossible que le Roi René soit l'auteur de la peinture à la détrempe en cause... mais sauf à voir un jour l'œuvre ressortir on ne sait d'où, tout le reste n'est que conjectures !

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